Bienvenue au cours de français 11e année préuniversitaire! Nous espérons qu’en le complétant, tu auras acquis une multitude de connaissances qui enrichiront ton esprit et te prépareront au cours de 12e année préuniversitaire et à tes futures études universitaires.
Les trois premières activités de l’unité 1 seront consacrées à l’interprétation d’extraits de la littérature française et francophone ainsi qu’à la lecture d’une œuvre canadienne complète de ton choix. Ces activités et les lectures proposées sont nécessaires pour réussir la dissertation littéraire de type explicatif de l’activité 1.5, car tu devras faire citer les textes que tu as lus dans les activités précédentes. Cette dissertation vaudra que 15 % de ta note finale.
Cette première activité d’apprentissage sera dédiée à la littérature française du 18e siècle. Afin de bien comprendre les extraits qui te seront présentés, tu en apprendras davantage sur le contexte historique et surtout intellectuel de cette époque. Eh oui, ta question de dissertation portera peut-être sur la philosophie du 18e !
Commençons donc par décrire le contexte historique en France au 18e siècle (XVIIIe) :
Le 18e siècle, qui commence en 1701 et termine en 1800, est principalement marqué par la Révolution française de 1789. Cette incroyable révolte du peuple français contre la monarchie est indirectement causée par l’aide financière qu’apporte la France à la guerre d’indépendance des États-Unis face à l’Angleterre (1775-1783), l’ennemie jurée de la France. Cet argent pris et versé ailleurs creuse un immense « trou » dans l’économie française et cause une crise importante. Le peuple souffre alors de famine à cause de mauvaises récoltes en 1788 et 1789 et de pauvreté due à un taux de chômage élevé. Au même moment, la monarchie vit dans le luxe. Une hausse des prix provoque des émeutes populaires, ce qui force le roi, Louis XVI, à renoncer à l’absolutisme royal. Cependant, il refuse de quitter le pouvoir ce qui cause une autre émeute qui déclenche cette fois-ci la Révolution.
Le peuple se révolte pour de bon et abolit tous les privilèges des nobles, des bourgeois et des riches membres de l’Église. On écrit une nouvelle constitution où la liberté et l’égalité entre les hommes deviennent les nouveaux principes fondateurs de la société. À la suite d’une tentative de fuite de la famille royale, le peuple décide d’exécuter par guillotine Louis XVI et sa femme, Marie-Antoinette, en 1793.
Sources: Gonthier, C. (2005). Écrivains des Lumières: De Chamfort, Chénier, Diderot, Montesquieu, Rousseau, Sade et Voltaire. Éditions Groupe Beauchemin. (p.156-159); and https://www.britannica.com/event/American-Revolution
Système de gouvernement où le pouvoir du chef d’État est complet, total, absolu. C’est-à-dire qu’il ne peut pas être limité ou opposé par quiconque.
Ensemble de lois et de principes qui détermine les relations entre gouvernés et gouverneurs au sein d’une nation.
Les Français prennaient les armes et manifestaient leur colère en 1789. Dans la deuxième image, prise en décembre 2018, on voit des « gilets jaunes » qui manifestent dans les rues. Dans ces manifestations il est courant de voir des pancartes où le président actuel de France, Emmanuel Macron, est comparé au roi Louis XVI, exécuté par le peuple lors de la révolution de 1789.
Va plus loin !
Fais une recherche sur le mouvement des gilets jaunes et compare les deux mouvements de révolte populaire en France. Les gilets jaunes ont-ils les mêmes raisons de protester que leurs ancêtres en 1789 ?
Cette activité d’apprentissage est remplie de capsules sur la philosophie, l’histoire et les courants littéraires des époques étudiées. Celles-ci te permettront de mieux répondre à la question de dissertation explicative qui portera sur la présence d’un certain courant intellectuel ou philosophique dans les œuvres. Tu auras le choix d’explorer un thème de ton choix dans ta dissertation. Les sujets qui se retrouvent dans toutes les œuvres que tu liras dans l’unité 1 et sur desquels tu pourras écrire ta dissertation sont les suivants :
- les inégalités sociales : l’opposition entre homme de nature/homme de culture, la misère humaine, la dépendance
- la critique sociale : remise en question du pouvoir moral, social ou politique
- la société idéale : l’égalité, la liberté et la tolérance
« Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son propre entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas d’une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre. »
- Y a-t-il des choses que tu ne peux pas faire sans qu’une autre personne t’autorise à le faire, t’accompagne ou signe pour toi ?
- Toi, es-tu dans un ou des état(s) de tutelle ? Si oui, lesquels ? (Indice : Si tu as moins de 18 ans, tu es en état de tutelle par rapport à tes parents ou tes gardiens légaux !)
- D’après toi, Kant inclut-il l’état de tutelle qui place l’enfant sous l’autorité de ses parents ou fait-il référence à d’autres relations de dépendance ?
- D’après toi comment peut-on être responsable de son état de dépendance (tutelle) envers d’autres comme le propose Kant ?
Va plus loin !
Si ça t’intéresse, tu peux lire tout le texte de Kant qui répond à la question : Qu’est-ce que les Lumières (S’ouvrira dans une nouvelle fenêtre) ?
Courant philosophique des Lumières
Le siècle des Lumières est caractérisé par un effort marqué de la part de penseurs pour faire avancer la science et diffuser la culture et le raisonnement parmi le peuple. On veut alors lutter contre le pouvoir des institutions politiques (royauté) religieuses qui tentent de maintenir le peuple dans l’ignorance. Les penseurs des Lumières croient que la raison et la science peuvent libérer l’homme de son état d’asservissement mental par rapport aux gens au pouvoir. Avec la raison, ces philosophes avaient le projet de rendre chacun et chacune capable et libre de juger et de critiquer les choses et les personnes l’entourent.
Manière de penser qui permettent à l’humain de bien juger et bien agir en société
Le terme « homme » fait référence à l’humain en général ; il inclut dont l’homme et la femme
Servitude ou dépendance totale, privation de sa liberté et de son indépendance
Réflexion
- Qui sont les personnes ou les institutions qui exercent une autorité sur toi dans les différentes sphères de ta vie (maison, école, amitié, travail, église, etc.) ?
- Y a-t-il des choses que tu te sens obligé de faire pour d’autres parfois ? Si oui, lesquelles ?
- Qui ou quoi, à part toi, a une influence sur tes actions et même tes pensées ?
Même si les philosophes français des Lumières (Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot, Chénier, Sade et Chamfort) avaient des visions philosophiques différentes et parfois même contradictoires, ils avaient tous certains objectifs en commun :
- utiliser la raison pour combattre l’ignorance et la servitude mentale liées aux préjugés, à la superstition, au fanatisme, au dogme et à l’intolérance
- critiquer les valeurs sociales, politiques et religieuses, les idées reçues, les règles qui «vont de soi» et toute croyance transmise par l’Église pour faire prendre conscience aux humains des enjeux moraux, sociaux et politiques
- critiquer et remettre en question la légitimité du pouvoir des nobles, bourgeois et religieux pour libérer les individus de leur ignorance et leur dépendance morale envers eux et promouvoir la liberté et l’égalité entre hommes. (Gonthier, p.7)
Comportement de fanatique, c’est-à-dire quelqu’un qui vit une émotion intense, voire violente pour une religion ou une cause. Ex.: des fanatiques catholiques ont brûlé des églises protestantes. Ex: des fanatiques de soccer se sont battus à la fin de la joute opposant deux équipes rivales.
Une loi ou règle provenant d’une doctrine religieuse, politique ou autre et qui est perçue comme étant une vérité incontestable. (Cuerrier, 39)
Qui n’est pas justifié moralement.
Préoccupations ou problématiques importantes. Ex.: l’enjeu du terrorisme en europe en inquiète plusieurs.
Ensemble des règles de conduite de l’homme en considérées comme « bonnes » selon une certaine conception du bien et du mal.
Va plus loin !
Comment comparerais-tu le courant actuel de pratique du yoga et de la méditation avec la Philosophie des Lumières ? Voltaire, Rousseau et compagnie auraient-ils été en faveur du yoga ou l’auraient-ils rejeté ? Fais une recherche pour trouver les ressemblances et les différences entre ces deux philosophies.
Dans le cadre de ce cours, tu liras des extraits de Rousseau et de Voltaire uniquement.
Philosophie de Jean-Jacques Rousseau :
Au XVIIIe siècle, Rousseau est témoin des profondes inégalités sociales au sein de la société française et trouve ceci injuste. En 1754, il écrit « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes », où il élabore une théorie sur l’origine des humains et des relations d’exploitation et de dépendance entre eux. Il stipule que dans son évolution, l’homme est passé d’un état de nature à un état de culture et que c’est la vie en société qui aurait provoqué cette transformation.
Voici les principaux éléments à retenir sur la philosophie de Rousseau. Ce qui suit est important pour comprendre les textes que tu liras à partir de maintenant. Écris les mots-clés du texte.
- est paisible, nomade, vit seul et est indépendant des autres.
- rencontre parfois d’autres hommes, mais ne reste jamais longtemps en leur compagnie, car il est toujours libre de partir.
- est régi par son instinct de conservation (ou amour de soi) qui l’empêche de se laisser mourir, car il cherche toujours à répondre à ses besoins fondamentaux (manger, se reproduire et dormir).
- aussi régi par sa pitié pour son semblable. Il est triste et dégoûté de le voir souffrir, ce qui l’empêche de le violenter ou de le tuer pour satisfaire ses besoins fondamentaux. Ex.: Même s’il a faim et qu’un autre humain veut la même pomme que lui, l’homme de nature ne le tuera pas, car il aura pitié de lui.
- est égal aux autres même s’il est différent d’eux, car il ne reste jamais assez longtemps avec eux pour devenir dépendant d’eux ou vice-versa.
- ses différences physiques ou mentales, qui le distinguent des autres, ne peuvent jamais devenir des manières de les asservir, car ils peuvent toujours s’enfuir. Ex.: Bob, un homme de nature plus fort que Rob, lui vole une pomme qu’il venait de cueillir. Ce vol ne pourra pas se reproduire plusieurs fois, car Rob quoique plus faible, a toujours la possibilité de s’enfuir de Bob. (Cuerrier, p.48)
- est sédentaire et a des besoins matériels artificiels.
- est associé à d’autres humains et a développé des liens de dépendance avec eux (il exploite ou est exploité par d’autres).
- a appris à être en société, ce qui est la cause de tous ses malheurs, car pour devenir un homme de culture, il s’est perverti et dénaturé.
- a de l’amour-propre, sentiment faux et artificiel car il est obsédé par lui-même et veut que les autres considèrent qu’il a de la valeur, qu’il est important.
- ne se préoccupe que de ses besoins et intérêts aux dépens de ceux des autres.
- est vaniteux, superficiel, ambitieux.
- a des relations malsaines et inauthentiques avec les autres.
- est dans le paraître.
- Rousseau propose un nouveau modèle de société fondée sur un contrat social qui nous permettrait de nous « réconcilier » avec l’homme naturel en nous. Dans cette société :
- chacun choisit de vivre dans cette société où il ou elle serait associée librement aux autres (sans relation de domination, de soumission, de loi du plus fort, etc.)
- les lois seraient déterminées uniquement par la raison et auraient comme objectif le bien universel, la volonté générale
- les lois ne prendraient pas en compte les intérêts, les désirs et les passions individuelles, mais uniquement le bien de tous
- Ce contrat a joué une grande part dans la Révolution française (liberté, égalité).
Avant de continuer, révise la définition de l’homme naturel et celle de l’homme en société. Révise les nouveaux mots dans la liste suivante et note comment ils sont classifiés ci-dessous.
dans l’être, dépendant, transparent, dans le paraître, dans la culture,
hypocrite, independent, tordu par préjugés, dans la nature,
simple, « le bon sens » l’éducation, authentique, opaque
Homme de nature est...
Homme de culture est...
Tableau comparatif
Homme de nature est... | Homme de culture est... |
---|---|
dans l’être transparent authentique indépendant dans la nature simple |
dans le paraître opaque hypocrite dépendant dans la culture tordu par préjugés, « le bon sens » l’éducation |
Partie 1 : Analyse d’un texte du 18e siècle
Pour cette première partie, tu dois lire des extraits de textes écrits par Rousseau.
Lis les extraits suivants tirés de trois œuvres courantes de Jean-Jacques Rousseau. La langue dans ces textes est de niveau soutenu et la syntaxe et plusieurs mots de vocabulaire ont une tournure ancienne. Une excellente stratégie de lecture pour ce genre de texte est de s’arrêter pour rechercher les mots inconnus. Si tu ne connais pas et leurs définitions que tu peux les rechercher independement.
Cahier de notes
Premièrement, dans ton cahier de notes, crée une banque des mots pour rechercher les mots inconnus. Deuxièmement, fais une liste des phrases ou les parties de phrases qui te rappellent ce que tu sais déjà sur sa philosophie. Troisièmement, prends en note tes réflexions et tes questions par rapport au texte.
Réponds aux questions de compréhension qui parsèment le texte. Celles-ci permettront de mieux répondre aux questions d’analyse dans le tableau. Lorsque tu as donné une réponse, clique sur l’icône rétroaction pour voir des mots-clés de réponses possibles.
Extrait : Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754)
« C’est la raison qui engendre l’amour-propre, et c’est la réflexion qui le fortifie; c’est elle qui replie l’homme sur lui-même; c’est elle qui le sépare de tout ce qui le gêne et l’afflige: c’est la philosophie qui l’isole; c’est par elle qu’il dit en secret, à l’aspect d’un homme souffrant: «Péris si tu veux, je suis en sûreté». Il n’y a plus que les dangers de la société entière qui troublent le sommeil tranquille du philosophe, et qui l’arrachent de son lit. On peut impunément égorger son semblable sous sa fenêtre; il n’a qu’à mettre ses mains sur ses oreilles et s’argumenter un peu pour empêcher la nature qui se révolte en lui de l’identifier avec celui qu’on assassine. L’homme sauvage n’a point cet admirable talent; et faute de sagesse et de raison, on le voit toujours se livrer étourdiment au premier sentiment de l’humanité. Dans les émeutes, dans les querelles des rues, la populace s’assemble, l’homme prudent s’éloigne: c’est la canaille, ce sont les femmes des halles, qui séparent les combattants, et qui empêchent les honnêtes gens de s’entr’égorger. » (p. 37-38)
- Comment la raison cause-t-elle l’amour-propre et donc l’affaiblissement de la pitié chez l’homme de culture ?
C’est grâce à sa raison que l’homme peut se distancier des autres et de leurs souffrances. Il réfléchit non seulement pour comprendre les choses qui l’entourent, mais aussi pour ne plus s’identifier aux autres et ainsi se désensibiliser et se déresponsabiliser de ce qui leur arrive. L’homme de nature ne raisonne pas et donc il s’identifie aux autres et a pitié d’eux lorsqu’il les voit en danger ou en train de souffrir.
Va plus loin !
Explique en quoi cette conception de la raison est en conflit avec la croyance des philosophes des Lumières que la raison peut libérer l’humain.
- Comment les honnêtes gens, la canaille et l’homme prudent sont-ils caractérisés dans ce paragraphe ? À quel type d’homme l’auteur les associe-t-il ?
Rousseau associe la canaille et les femmes marchandes à l’homme de nature, car elles ont pitié des hommes qui se battent et tentent de leur en empêcher. Elles utiliseraient donc moins leur raison que l’homme prudent qui grâce à sa raison réalise qu’en fuyant la situation il pourra se protéger. La pitié est ressentie plus viscéralement par la canaille qui ne se raisonne pas que l’homme prudent qui est trop préoccupé de lui-même (amour propre) pour se mettre en danger et sauver d’autres hommes. Les honnêtes hommes, eux, se battent entre eux et sont donc violents. Puisque l’homme de nature est pacifique et non-violent, ceux-ci seraient donc des hommes de culture qui sont pauvres et dépossédés.
« Il est donc certain que la pitié est un sentiment naturel, qui, modérant dans chaque individu l’activité de l’amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce. C’est elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir: c’est elle qui, dans l’état de nature, tient lieu de lois, de mœurs, et de vertu, avec cet avantage que nul n’est tenté de désobéir à sa douce voix: c’est elle qui détournera tout sauvage robuste d’enlever à un faible enfant, ou à un vieillard infirme, sa subsistance acquise avec peine, si lui-même espère pouvoir trouver la sienne ailleurs; c’est elle qui, au lieu de cette maxime sublime de justice raisonnée: Fais à autrui comme tu veux qu’on te fasse, inspire à tous les hommes cette autre maxime de bonté naturelle bien moins parfaite, mais plus utile peut-être que la précédente: Fais ton bien avec le moindre mal d’autrui qu’il est possible. C’est, en un mot, dans ce sentiment naturel, plutôt que dans des arguments subtils, qu’il faut chercher la cause de la répugnance que tout homme éprouverait à mal faire, même indépendamment des maximes de l’éducation. Quoiqu’il puisse appartenir à Socrate, et aux esprits de sa trempe, d’acquérir de la vertu par raison, il y a longtemps que le genre humain ne serait plus, si sa conservation n’eût dépendu que des raisonnements de ceux qui le composent. » (p. 38)
- Explique en tes mots pourquoi la pitié naturelle et l’amour de soi-même ont tous les deux permis la survie de l’espèce humaine ?
La pitié assure la préservation de l’espèce, car elle nous empêche de tuer nos semblables. L’amour de soi assure la survie individuelle des hommes.
« Avec des passions si peu actives, et un frein si salutaire, les hommes plutôt farouches que méchants, et plus attentifs à se garantir du mal qu’ils pouvaient recevoir, que tentés d’en faire à autrui, n’étaient pas sujets à des démêlés fort dangereux: comme ils n’avaient entre eux aucune espèce de commerce, qu’ils ne connaissaient par conséquent ni la vanité, ni la considération, ni l’estime, ni le mépris, qu’ils n’avaient pas la moindre notion du tien et du mien, ni aucune véritable idée de la justice, qu’ils regardaient les violences qu’ils pouvaient essuyer comme un mal facile à réparer, et non comme une injure qu’il faut punir, et qu’ils ne songeaient pas même à la vengeance si ce n’est peut-être machinalement et sur-le-champ, comme le chien qui mord la pierre qu’on lui jette, leurs disputes eussent eu rarement des suites sanglantes, si elles n’eussent point eu de sujet plus sensible que la pâture. Mais j’en vois un plus dangereux, dont il me reste à parler. » (p.39)
- Pourquoi les disputes entre les hommes de nature auraient rarement versé du sang ?
Les hommes de nature étaient timides et non violents et ne restaient pas en compagnie des autres hommes assez longtemps pour développer assez de ressentiment pour désirer leur faire du mal ou les tuer.
« Commençons par distinguer le moral du physique dans le sentiment de l’amour. Le physique est ce désir général qui porte un sexe à s’unir à l’autre; le moral est ce qui détermine ce désir et le fixe sur un seul objet exclusivement, ou qui du moins lui donne pour cet objet préféré un plus grand degré d’énergie. Or il est facile de voir que le moral de l’amour est un sentiment factice, né de l’usage de la société, et célébré par les femmes avec beaucoup d’habileté et de soin pour établir leur empire, et rendre dominant le sexe qui devrait obéir. Ce sentiment étant fondé sur certaines notions du mérite ou de la beauté qu’un sauvage n’est point en état d’avoir, et sur des comparaisons qu’il n’est point en état de faire, doit être presque nul pour lui. Car comme son esprit n’a pu se former des idées abstraites de régularité et de proportion, son cœur n’est point non plus susceptible des sentiments d’admiration et d’amour qui, même sans qu’on s’en aperçoive, naissent de l’application de ces idées; il écoute uniquement le tempérament qu’il a reçu de la nature, et non le goût qu’il n’a pu acquérir, et toute femme est bonne pour lui. » (p. 39)
- Qu’est-ce que le moral dans l’amour et pourquoi n’est-il pas naturel ?
Le moral de l’amour s’oppose au simple désir physique, car il oriente ce désir en déterminant qui l’homme tentera de séduire. Il n’est pas naturel, car il vient de la raison et des attentes de la société comme le mérite, des critères de beauté, etc.
« Ces premiers progrès mirent enfin l’homme à portée d’en faire de plus rapides. Plus l’esprit s’éclairait, et plus l’industrie se perfectionna. Bientôt cessant de s’endormir sous le premier arbre, ou de se retirer dans des cavernes, on trouva quelques sortes de haches de pierres dures et tranchantes, qui servirent à couper du bois, creuser la terre et faire des huttes de branchages, qu’on s’avisa ensuite d’enduire d’argile et de boue. Ce fut là l’époque d’une première révolution qui forma l’établissement et la distinction des familles, et qui introduisit une sorte de propriété; d’où peut-être naquirent déjà bien des querelles et des combats. Cependant, comme les plus forts furent vraisemblablement les premiers à se faire des logements qu’ils se sentaient capables de défendre, il est à croire que les faibles trouvèrent plus court et plus sûr de les imiter que de tenter de les déloger; et quant à ceux qui avaient déjà des cabanes, chacun dut peu chercher à s’approprier celle de son voisin, moins parce qu’elle ne lui appartenait pas que parce qu’elle lui était inutile et qu’il ne pouvait s’en emparer, sans s’exposer à un combat très vif avec la famille qui l’occupait. » (p. 46)
- Quelle fut la cause probable des premiers combats entre hommes ?
Le sentiment de propriété vis-à-vis de sa famille et celui de rivalité qui en découle
« Dans ce nouvel état, avec une vie simple et solitaire, des besoins très bornés, et les instruments qu’ils avaient inventés pour y pourvoir, les hommes jouissant d’un fort grand loisir l’employèrent à se procurer plusieurs sortes de commodités inconnues à leurs pères; et ce fut là le premier joug qu’ils s’imposèrent sans y songer, et la première source de maux qu’ils préparèrent à leurs descendants; car outre qu’ils continuèrent ainsi à s’amollir le corps et l’esprit, ces commodités ayant par l’habitude perdu presque tout leur agrément, et étant en même temps dégénérées en de vrais besoins, la privation en devint beaucoup plus cruelle que la possession n’en était douce, et l’on était malheureux de les perdre, sans être heureux de les posséder. » (p. 47)
- Quel est la première forme d’asservissement que se sont imposée les hommes ?
Les hommes ont été asservis par des objets auxquels ils ne sont habitués et dont la possession est devenue un besoin, même si elle ne leur procurait aucun plaisir.
« Tout commence à changer de face. Les hommes errants jusqu’ici dans les bois, ayant pris une assiette plus fixe, se rapprochent lentement, se réunissent en diverses troupes, et forment enfin dans chaque contrée une nation particulière, unie de mœurs et de caractères, non par des règlements et des lois, mais par le même genre de vie et d’aliments, et par l’influence commune du climat. Un voisinage permanent ne peut manquer d’engendrer enfin quelque liaison entre diverses familles. De jeunes gens de différents sexes habitent des cabanes voisines, le commerce passager que demande la nature en amène bientôt un autre non moins doux et plus permanent par la fréquentation mutuelle. On s’accoutume à considérer différents objets et à faire des comparaisons; on acquiert insensiblement des idées de mérite et de beauté qui produisent des sentiments de préférence. À force de se voir, on ne peut plus se passer de se voir encore. Un sentiment tendre et doux s’insinue dans l’âme, et par la moindre opposition devient une fureur impétueuse: la jalousie s’éveille avec l’amour; la discorde triomphe et la plus douce des passions reçoit des sacrifices de sang humain. » (p. 47-48)
- Relève au moins deux expressions ou mots français qui témoignent de l’ancienneté de ce texte.
« prendre une assiette fixe » n’est plus une expression utilisée et les mots: contrée, impétueuse, discorde, passion appartiennent au registre soutenu.
- Selon toi, de quel genre d’opposition peut-il s’agir ici (envers qui, par rapport à quoi) ?
Il s’agit d’une opposition par rapport à ce que l’on veut ou à ce qu’on pense. Il peut s’agir d’un objet que quelqu’un achète avant nous et qui provoque notre jalousie. Il peut s’agir de quelqu’un qui ne nous témoigne pas le respect ou la considération que l’on croit mériter
« À mesure que les idées et les sentiments se succèdent, que l’esprit et le cœur s’exercent, le genre humain continue à s’apprivoiser, les liaisons s’étendent et les liens se resserrent. On s’accoutuma à s’assembler devant les cabanes ou autour d’un grand arbre: le chant et la danse, vrais enfants de l’amour et du loisir, devinrent l’amusement ou plutôt l’occupation des hommes et des femmes oisifs et attroupés. Chacun commença à regarder les autres et à vouloir être regardé soi-même, et l’estime publique eut un prix. Celui qui chantait ou dansait le mieux; le plus beau, le plus fort, le plus adroit ou le plus éloquent devint le plus considéré, et ce fut là le premier pas vers l’inégalité, et vers le vice en même temps: de ces premières préférences naquirent d’un côté la vanité et le mépris, de l’autre la honte et l’envie; et la fermentation causée par ces nouveaux levains produisit enfin des composés funestes au bonheur et à l’innocence. » (p. 48)
- Comment la vanité, le mépris, la honte et l’envie sont-ils nés chez l’homme ?
En vivant en communauté, l’homme a commencé à observer les autres et à se comparer à eux. Il a commencé à remarquer que certaines différences entre lui et les autres menaient à une plus grande considération (mieux danser, mieux chanter). Il est devenu compétitif et il est donc devenu envieux de ceux qui avaient plus d’attention que lui, honteux d’être moins bien considéré, vaniteux d’être meilleur que les autres et méprisant envers ceux qui sont moins bon que lui.
« Sitôt que les hommes eurent commencé à s’apprécier mutuellement et que l’idée de la considération fut formée dans leur esprit, chacun prétendit y avoir droit, et il ne fut plus possible d’en manquer impunément pour personne. De là sortirent les premiers devoirs de la civilité, même parmi les sauvages, et de là tout tort volontaire devint un outrage, parce qu’avec le mal qui résultait de l’injure, l’offensé y voyait le mépris de sa personne souvent plus insupportable que le mal même. C’est ainsi que chacun punissant le mépris qu’on lui avait témoigné d’une manière proportionnée au cas qu’il faisait de lui-même, les vengeances devinrent terribles, et les hommes sanguinaires et cruels. [...] » (p. 48)
- Pourquoi les règles de conduite (de civilité) furent-elles imposées parmi les humains ?
Il devint nécessaire d’instaurer des lois de civilité afin d’assurer que personne ne souffre d’un manque de considération de la part d’un autre, lorsque les hommes crurent qu’il était injuste de ne pas être minimalement considérés/admiré/estimé des autres.
- Pourquoi «les vengeances devinrent terribles, et les hommes sanguinaires et cruels» ?
L’homme considère n’importe quel mal qu’on lui fait (critique, vol, coup physique, etc.) comme une grave offense (injure), car il se sent méprisé et trouve le manque d’estime d’un autre envers lui intolérable, pire que le mal en soit. Il veut donc punir et blesser profondément quiconque lui manque de respect, car lui-même s’est senti blessé.
« Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique, en un mot tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant: mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre; dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons. » (p. 49)
- Quel exemple pourrait illustrer « le secret d’employer le fer à la multiplication des denrées » dans l’histoire la traite des fourrures entre colons français et autochtones pendant la colonisation du Canada (indice: miroir) ?
Les colons ont compris que les autochtones accordaient beaucoup d’importance au miroir, objet qui ne coûtait presque rien à produire pour les Européens, et ils en profitèrent pour demander beaucoup de peaux d’animaux en échange d’un seul miroir. Les colons ont donc « employer leur fer » , le miroir, à la « multiplication des denrées », les peaux de castor dans ce cas-ci. Ceci était un genre de secret, car les autochtones ignoraient que l’échange était inégal et avantageait les colons.
« Les choses en cet état eussent pu demeurer égales, si les talents eussent été égaux, et que, par exemple, l’emploi du fer et la consommation des denrées eussent toujours fait une balance exacte; mais la proportion que rien ne maintenait fut bientôt rompue; le plus fort faisait plus d’ouvrage; le plus adroit tirait meilleur parti du sien; le plus ingénieux trouvait des moyens d’abréger le travail; le laboureur avait plus besoin de fer, ou le forgeron plus besoin de blé, et en travaillant également, l’un gagnait beaucoup tandis que l’autre avait peine à vivre. C’est ainsi que l’inégalité naturelle se déploie insensiblement avec celle de combinaison et que les différences des hommes, développées par celles des circonstances, se rendent plus sensibles, plus permanentes dans leurs effets, et commencent à influer dans la même proportion sur le sort des particuliers. » (p. 51)
- D’après Rousseau, quelles furent les causes de la répartition inégale du travail et des richesses ?
Les différences naturelles entre les hommes ont permis à certains de profiter de leur avantage: les plus rapides, les plus puissants et les plus intelligents travaillaient moins fort et produisaient plus que les autres, ce qui fit en sorte qu’ils gagnaient mieux leur vie que d’autres.
- Explique en quoi ces « différences » n’expliquent pas totalement l’échange inégal de richesses entre les colons français et les autochtones au Canada.
Il ne s’agissait pas de différence d’intelligence ou de force, mais plutôt que les colons possédaient déjà des miroirs et les autochtones, non. Les colons ont profité de cette différence et l’intérêt marqué des autochtones pour cet objet pour les usurper.
« Voilà donc toutes nos facultés développées, la mémoire et l’imagination en jeu, l’amour-propre intéressé, la raison rendue active et l’esprit arrivé presque au terme de la perfection, dont il est susceptible. Voilà toutes les qualités naturelles mises en action, le rang et le sort de chaque homme établi, non seulement sur la quantité des biens et le pouvoir de servir ou de nuire, mais sur l’esprit, la beauté, la force ou l’adresse, sur le mérite ou les talents, et ces qualités étant les seules qui pouvaient attirer de la considération, il fallut bientôt les avoir ou les affecter, il fallut pour son avantage se montrer autre que ce qu’on était en effet. Être et paraître devinrent deux choses tout à fait différentes, et de cette distinction sortirent le faste imposant, la ruse trompeuse, et tous les vices qui en sont le cortège. D’un autre côté, de libre et indépendant qu’était auparavant l’homme, le voilà par une multitude de nouveaux besoins assujetti, pour ainsi dire, à toute la nature, et surtout à ses semblables dont il devient l’esclave en un sens, même en devenant leur maître; riche, il a besoin de leurs services; pauvre, il a besoin de leur secours, et la médiocrité ne le met point en état de se passer d’eux. Il faut donc qu’il cherche sans cesse à les intéresser à son sort, et à leur faire trouver, en effet ou en apparence, leur profit à travailler pour le sien: ce qui le rend fourbe et artificieux avec les uns, impérieux et dur avec les autres, et le met dans la nécessité d’abuser tous ceux dont il a besoin, quand il ne peut s’en faire craindre, et qu’il ne trouve pas son intérêt à les servir utilement. Enfin l’ambition dévorante, l’ardeur d’élever sa fortune relative, moins par un véritable besoin que pour se mettre au-dessus des autres, inspire à tous les hommes un noir penchant à se nuire mutuellement, une jalousie secrète d’autant plus dangereuse que, pour faire son coup plus en sûreté, elle prend souvent le masque de la bienveillance; en un mot, concurrence et rivalité d’une part, de l’autre opposition d’intérêt, et toujours le désir caché de faire son profit aux dépens d’autrui, tous ces maux sont le premier effet de la propriété et le cortège inséparable de l’inégalité naissante. » (p. 51-52)
- En quoi la raison est-elle liée au développement de l’amour-propre ?
C’est parce qu’il est doté de raison que l’homme peut réfléchir et se comparer aux autres et c’est parce qu’il se compare aux autres qu’il développe de l’amour-propre, car il devient obsédé par son statut social et la considération des autres pour sa personne.
- Pourquoi a-t-il fallu que les hommes « se montrent autres que ce qu’ils sont en effet » ?
Ils font semblant de posséder des talents, des connaissances ou des qualités qu’ils n’ont pas pour faire croire aux autres qu’ils méritent un meilleur rang social. Ils mentent aux autres pour être toujours mieux considéré.
- Pourquoi les riches sont-ils dépendants des pauvres et les pauvres dépendants des riches ?
Car les riches ont besoin des services/du travail des pauvres et les pauvres ont besoin de la protection du riche.
« C’est ainsi que les plus puissants ou les plus misérables, se faisant de leur force ou de leurs besoins une sorte de droit au bien d’autrui, équivalent, selon eux, à celui de propriété, l’égalité rompue fut suivie du plus affreux désordre: c’est ainsi que les usurpations des riches, les brigandages des pauvres, les passions effrénées de tous étouffant la pitié naturelle, et la voix encore faible de la justice, rendirent les hommes avares, ambitieux et méchants. Il s’élevait entre le droit du plus fort et le droit du premier occupant un conflit perpétuel qui ne se terminait que par des combats et des meurtres. La société naissante fit place au plus horrible état de guerre: le genre humain avili et désolé, ne pouvant plus retourner sur ses pas ni renoncer aux acquisitions malheureuses qu’il avait faites et ne travaillant qu’à sa honte, par l’abus des facultés qui l’honorent, se mit lui-même à la veille de sa ruine. » (p. 52-53)
- En quoi la propriété signifie « égalité rompue » ?
Car c’est seulement à partir du moment où la propriété est devenue une vérité et un droit que les inégalités ont pu se développer entre les hommes.
- Dans son discours, Rousseau cite Locke, un autre philosophe, qui a écrit: « il ne saurait y avoir d’injure, où il n’y a point de propriété ». Comment Rousseau explique-t-il ceci ?
Rousseau veut dire qu’un mal ou un tort ne devient une injure (offense extrêmement blessante) que lorsqu’il touche à la propriété de quelqu’un. C’est lorsque quelqu’un considère qu’une chose est à lui et qu’un autre plus fort ou qui «arrive en premier» la lui prend, qu’il se sent méprisé et qu’il devient violent envers celui qui l’a volé (brigandage, combats, meurtres.
Extrait tiré Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Seconde partie écrit en 1754
« Il en fallut beaucoup moins que l’équivalent de ce discours pour entraîner des hommes grossiers, faciles à séduire, qui d’ailleurs avaient trop d’affaires à démêler entre eux pour pouvoir se passer d’arbitres, et trop d’avarice et d’ambition, pour pouvoir longtemps se passer de maîtres. Tous coururent au-devant de leurs fers croyant assurer leur liberté; car avec assez de raison pour sentir les avantages d’un établissement politique, ils n’avaient pas assez d’expérience pour en prévoir les dangers; les plus capables de pressentir les abus étaient précisément ceux qui comptaient d’en profiter, et les sages mêmes virent qu’il fallait se résoudre à sacrifier une partie de leur liberté à la conservation de l’autre, comme un blessé se fait couper le bras pour sauver le reste du corps. » (p. 54)
- Pourquoi l’homme pauvre a-t-il besoin d’un arbitre et d’un maître, selon Rousseau?
Car il est en conflit avec ses semblables à cause de disputes de propriétés et a besoin d’une tierce personne « objective » pour l’aider à résoudre ses litiges. Il est aussi ambitieux, car il veut devenir riche lui aussi (il se compare au riche) et doit donc travailler pour un riche (maître) qui peut le payer pour ses services, s’il veut gagner de l’argent et devenir riche un jour.
Extrait tiré des Dialogues de Rousseau écrits en 1782
« Mais où est-il cet homme de la nature qui vit vraiment de la vie humaine, qui comptant pour rien l’opinion d’autrui, se conduit uniquement d’après ses penchants et sa raison, sans égard à ce que public, approuve ou blâme ? On le chercherait en vain parmi nous. Tous avec un beau vernis de paroles tâchent en vain de donner le change sur leur vrai but ; aucun ne s’y trompe, et pas un n’est le dupe des autres quoique tous parlent comme lui. Tous cherchent leur bonheur dans l’apparence, nul ne se soucie de la réalité. Tous mettent leur être dans le paraître : tous, esclaves et dupes de l’amour-propre ne vivent point pour vivre, mais pour faire croire qu’ils ont vécu.»
- L’expression « donner le change » signifie mentir ou donner une fausse impression à quelqu’un. Donne un exemple d’une personne dissimulant ses intentions à travers « un beau vernis de paroles » à une autre qui le devine.
Exemple de réponse: Amanda cherche à se rapprocher de Magalie qui connaît Jagmeet Singh, car elle veut tenter de le rencontrer à travers elle. Elle va essayer de devenir son amie, de gagner sa confiance afin de mieux l’utiliser comme «pont» vers le leader du NPD, la personne qui l’intéresse vraiment. Elle va lui donner la fausse impression de vouloir simplement être son amie: en la complimentant, en lui proposant d’aller prendre un café, etc. Magalie remarque tout de suite la fausseté d’Amanda qui bizarrement, aime toutes les mêmes choses qu’elle et rit à toutes ses blagues… Amanda se met à parler de politique canadienne et Magalie sait tout de suite où elle veut en venir. Elle fait comme si elle lui disait un secret et lui confie qu’elle est une bonne amie de Jagmeet Singh. Amanda fait semblant d’être surprise et les deux continuent de parler faussement ainsi.
- Que veut dire le paraître, selon Rousseau ?
Être dans le paraître signifie être dissocié de la réalité et n’être que dans l’apparence, l’artifice, le faux.
- Que signifie «être dupe de l’amour-propre» selon toi ? Donne un exemple de ceci.
Être trompé par l’amour-propre veut dire que l’on croit au mensonge d’être important et d’avoir de la valeur, lorsqu’on est riche et qu’on a l’estime des gens. Être dupe de l’amour propre veut aussi dire qu’on est l’esclave des autres, car on a besoin de leur estime. Ça veut aussi dire qu’on ne vit plus et qu’on fait plutôt semblant de vivre.
Extrait tiré de l’ouvrage Émile de Rousseau écrit en 1762
« L’homme du monde est tout entier dans son masque. N’étant presque jamais en lui-même, il y est toujours étranger, et mal à son aise quand il est forcé d’y rentrer. Ce qu’il est n’est rien, ce qu’il paraît est tout pour lui. »
- Donne un exemple de situation où l’homme de culture serait forcé de « rentrer en lui-même ».
Exemple de réponse : Amanda passe tellement de temps à essayer d’impressionner les autres en faisant semblant d’avoir des talents et des intérêts qu’elle n’a pas que parfois, lorsqu’elle s’aperçoit dans le miroir, elle ne se reconnaît même pas.
- Donne un exemple d’une personne pour qui ce que les autres pensent d’elle est plus important pour elle que ce qu’elle est vraiment.
Dans le film Grease, Sandy et Danny deviennent amoureux l’un de l’autre un été, mais réalisent qu’ils sont trop différents pour être vus ensemble lorsqu’ils vont à la même école. À la fin du film, les deux décident de changer complètement leur apparence et leur attitude pour ressembler à l’autre et ainsi pouvoir former un couple acceptable aux yeux de leur groupe d’amis.
Fais ensuite l’analyse de ces extraits de Rousseau que tu as lus en répondant aux ci-dessous.
Questions d’analyse pour Rousseau
1. Quels sont les thèmes ou enjeux principaux (sociaux, moraux, politiques, etc.) du texte?
Thèmes
Sujets, idées, suggestions ou opinions généraux présentés dans des œuvres littéraires ou courantes. En effet, le thème d’un texte littéraire englobe toujours plus que le texte ; il porte sur la vie en général. Si on prend l’histoire suivante où Antoine, le personnage principal, ment à plusieurs reprises et qu’à la fin, il perd la confiance de ses proches, car ils ont découvert qu’il leur a menti. La leçon principale de l’histoire serait « Antoine ne doit pas mentir aux autres », mais le thème, plus général, serait plutôt «Il ne faut pas mentir aux autres ».
Un sous-thème est aussi plus englobant que le texte et est une opinion ou un message secondaire dans une histoire ou un poème. Si nous reprenons l’histoire d’Antoine, ses parents lui mettaient beaucoup de pression pour réussir à l’école et Antoine, voyant qu’il n’atteignait pas leurs attentes, s’est mis à cacher ses bulletins scolaires et à mentir au sujet de ses résultats. Un sous-thème de l’histoire serait que « la pression parentale excessive et irréaliste par rapport à la réussite scolaire des enfants peut les pousser vers le mensonge et la dissimulation ».
Thèmes et sous-thèmes peuvent varier en précision: ils peuvent être très généraux (ex.: la pauvreté), généraux (ex.: la pauvreté dans les quartiers défavorisés), ou précis (ex.: Il est difficile de se sortir de la pauvreté dans certains quartiers défavorisés de grandes métropoles canadiennes, car le système d’éducation publique favorise la transmission intergénérationnelle de la pauvreté).
Pour trouver le thème et les sous-thèmes d’un texte, il faut se poser les questions suivantes :
Pour une nouvelle, un roman, un conte ou une fable :
- On parle de quoi ?
- Qu’est-ce qui arrive au personnage de l’histoire et Pourquoi ?
- Qu’arrive-t-il à la fin de l’histoire ?
- Quelle leçon apprend le personnage principal à ce moment-là ?
Pour un poème ou une chanson :
- Comment se sent le poète ou la poétesse fasse à son sujet ?
- Quel est son idée ou son opinion par rapport à son sujet ?
- Si c’est un message précis destiné à quelqu’un de particulier (chanson ou poème d’amour), comment pourrait-on généraliser ce message afin qu’on puisse l’appliquer à la vie (ou à l’amour) en general ?
- La vie en société rend les hommes artificiels, faux, égoïstes et ambitieux.
- La propriété privée et la sédentarité sont les premières causes de l’asservissement des hommes.
- Les lois sont à l’origine des crimes passionnels des hommes et non le contraire.
- d’autres réponses sont possibles !
2. Quels sont les concepts-clé utilisés par Rousseau pour illustrer ces thèmes? Définis-les et fais des liens entre-eux en utilisant une cartographie conceptuelle ou un autre outil de ton choix.
Relis toutes tes réponses aux questions sur le texte de Rousseau et définis ses concepts-clé à l’aide de flèches dans un cartographie conceptuelle :
- l’homme de nature
- l’homme de culture
- la raison
- l’amour-propre
- le paraître
- l’injure
- l’asservissement
3. Quelles différences y a-t-il entre le français utilisé de nos jours et celui de Rousseau au XVIIIe siècle ?
- temps de verbe
- types de phrases
- mots de vocabulaire
- etc.
- Rousseau emploie un français de niveau soutenu: contrée, impétueuse, discorde, passion.
- Certaines expressions sont anciennes, comme « prendre une assiette plus fixe » qui n’est plus une expression utilisée de nos jours.
- Il emploie le passé simple et même le subjonctif plus-que-parfait qui n’est plus utilisé de nos jours (« eussent pu », « eussent été »)
- d’autres réponses possibles !
4. Quels autres indices (culturels, historiques, etc.) permettent de deviner que le texte a été écrit à l’époque des Lumières ? Explique en quoi ils sont reliés au contexte historique.
- L’exploitation des pauvres par les riches, les profondes inégalités sociales et la misère humaine font beaucoup penser au contexte social et politique de la France avant la révolution de 1789 où le peuple français ne mangeait pas assez et la monarchie était très extrêmement riche.
- La conception qu’a Rousseau des femmes n’est plus répandue ni acceptable de nos jours. Le fait qu’il pense que la femme doit obéissance à l’homme montre bien qu’il est d’une autre époque en Europe où la femme était considérée inférieure à l’homme.
5. Quels liens peux-tu faire entre le monde contemporain et les enjeux soulevés dans le texte ?
- À qui te fait penser l’amour-propre et le paraître ?
- Quels genres de comportements ou attitudes cet « amour » provoque-t-il chez les gens qui en sont dupes ?
Va plus loin !
Explique pourquoi Rousseau pense que la raison, la science et le « progress » ont mené au développement du « paraître » et non au bonheur des humains.
Voltaire
Citations connues :
« Le meilleur gouvernement est celui où il y a le moins d’hommes inutiles. »
« Le fanatisme est un monstre mille fois plus dangereux que l’athéisme philosophique. »
« L’art de la médecine consiste à distraire le malade pendant que la nature le guérit. »
Va plus loin !
D’après ce que tu sais déjà des Lumières, essaye de deviner ce que Voltaire entend par « hommes inutiles » et par la médecine qui distrait ?
- Dans ces trois citations, quelles sont les formes de pouvoir critiquées par Voltaire ?
- En quoi chacune d’elles exerce-t-elle un pouvoir sur l’homme ?
- Voltaire était bel et bien un philosophe des Lumières, car il était :
- contre tout abus de pouvoir politique, religieux ou même philosophique; (Gontier, 190)
- en faveur de la tolérance religieuse, la démocratisation des affaires et de la sphère politique. (193)
- contre toute forme d’injustice (194)
- contre l’Église catholique et le dévouement religieux qu’elle suscitait chez ses fidèles (194)
Partie 2: Analyse d’un texte de fiction du 18e siècle
« L’ingénu » est une nouvelle satirique écrite par Voltaire en 1767. Dans cette nouvelle, il met en scène l’ingénu, un Huron venu du Canada en bateau, qui débarque un jour en Basse-Bretagne, une région au nord-ouest de la France, et qui décide d’y rester, car il découvre qu’il a de la parenté là-bas. Il se fait donc adopter en quelque sorte par la communauté de Basse-Bretagne qui essaie tant bien que mal de lui enseigner les mœurs et les coutumes françaises de l’époque.
Quelqu’un qui est innocent, naïf et simple.
ATTENTION -- Voltaire avait une vision idéaliste et très réductrice des Hurons et probablement des autochtones d’Amérique en général. Il les associe dans son texte à l’homme naturel de Rousseau: innocents, paisibles et simples. La représentation qu’il en fait dans sa nouvelle n’est pas du tout représentative des vrais autochtones de cette époque, elle ne fait que révéler la perception très limitée et « naturalisant » qu’avait Voltaire sur eux. L’auteur utilise ce personnage qu’il croit plus « naturel » afin de mieux critiquer sa propre société française qu’il trouve justement trop éloignée de la nature. Son but est de conscientiser ses lecteurs sur certains enjeux. Ce sont ceux-ci que tu devras trouver dans le texte que tu liras.
Lis les quatre chapitres de la nouvelle et réponds aux questions du tableau d’analyse ci-dessous. Au chapitre 10, l’ingénu se retrouve en prison avec M. Gordon, un janséniste. Les jansénistes furent persécutés par les jésuites, des catholiques, car ils s’opposaient à certains de leurs dogmes, comme l’autorité du pape par exemple.
En lisant les chapitres, essaie de faire le plus de liens possible avec la philosophie de Rousseau. Pour t’aider à répondre aux questions, vois les questions guidées. Lorsque tu as fini de répondre aux questions, remplis l’autoévaluation.
L’ingénu de Voltaire
Monsieur le prieur, voyant qu’il était un peu sur l’âge, et que Dieu lui envoyait un neveu pour sa consolation, se mit en tête qu’il pourrait lui résigner son bénéfice s’il réussissait à le baptiser, et à le faire entrer dans les ordres.
L’Ingénu avait une mémoire excellente. La fermeté des organes de Basse-Bretagne, fortifiée par le climat du Canada, avait rendu sa tête si vigoureuse que, quand on frappait dessus, à peine le sentait-il ; et quand on gravait dedans, rien ne s’effaçait ; il n’avait jamais rien oublié. Sa conception était d’autant plus vive et plus nette que, son enfance n’ayant point été chargée des inutilités et des sottises qui accablent la nôtre, les choses entraient dans sa cervelle sans nuage. Le prieur résolut enfin de lui faire lire le Nouveau Testament. L’Ingénu le dévora avec beaucoup de plaisir ; mais, ne sachant ni dans quel temps ni dans quel pays toutes les aventures rapportées dans ce livre étaient arrivées, il ne douta point que le lieu de la scène ne fût en Basse-Bretagne ; et il jura qu’il couperait le nez et les oreilles à Caïphe et à Pilate si jamais il rencontrait ces marauds-là.
Son oncle, charmé de ces bonnes dispositions, le mit au fait en peu de temps ; il loua son zèle ; mais il lui apprit que ce zèle était inutile, attendu que ces gens-là étaient morts il y avait environ seize cent quatre-vingt-dix années. L’Ingénu sut bientôt presque tout le livre par cœur. Il proposait quelquefois des difficultés qui mettaient le prieur fort en peine. Il était obligé souvent de consulter l’abbé de Saint-Yves, qui, ne sachant que répondre, fit venir un jésuite bas-breton pour achever la conversion du Huron.
Enfin la grâce opéra ; l’Ingénu promit de se faire chrétien ; il ne douta pas qu’il ne dût commencer par être circoncis ; « car, disait-il, je ne vois pas dans le livre qu’on m’a fait lire un seul personnage qui ne l’ait été ; il est donc évident que je dois faire le sacrifice de mon prépuce : le plus tôt c’est le mieux ». Il ne délibéra point : il envoya chercher le chirurgien du village, et le pria de lui faire l’opération, comptant réjouir infiniment Mlle de Kerkabon et toute la compagnie quand une fois la chose serait faite. Le frater, qui n’avait point encore fait cette opération, en avertit la famille, qui jeta les hauts cris. La bonne Kerkabon trembla que son neveu, qui paraissait résolu et expéditif, ne se fît lui-même l’opération très-maladroitement, et qu’il n’en résultât de tristes effets auxquels les dames s’intéressent toujours par bonté d’âme.
Le prieur redressa les idées du Huron ; il lui remontra que la circoncision n’était plus de mode ; que le baptême était beaucoup plus doux et plus salutaire ; que la loi de grâce n’était pas comme la loi de rigueur. L’Ingénu, qui avait beaucoup de bon sens et de droiture, disputa, mais reconnut son erreur ; ce qui est assez rare en Europe aux gens qui disputent ; enfin il promit de se faire baptiser quand on voudrait.
Il fallait auparavant se confesser ; et c’était là le plus difficile. L’Ingénu avait toujours en poche le livre que son oncle lui avait donné. Il n’y trouvait pas qu’un seul apôtre se fût confessé, et cela le rendait très-rétif. Le prieur lui ferma la bouche en lui montrant, dans l’épître de saint Jacques le Mineur, ces mots qui font tant de peine aux hérétiques : Confessez vos péchés les uns aux autres. Le Huron se tut, et se confessa à un récollet. Quand il eut fini, il tira le récollet du confessionnal, et, saisissant son homme d’un bras vigoureux, il se mit à sa place, et le fit mettre à genoux devant lui : « Allons, mon ami, il est dit : Confessez-vous les uns aux autres : je t’ai conté mes péchés, tu ne sortiras pas d’ici que tu ne m’aies conté les tiens. » En parlant ainsi, il appuyait son large genou contre la poitrine de son adverse partie. Le récollet pousse des hurlements qui font retentir l’église. On accourt au bruit, on voit le catéchumène qui gourmait le moine au nom de saint Jacques le Mineur. La joie de baptiser un Bas-Breton huron et anglais était si grande qu’on passa par-dessus ces singularités. Il y eut même beaucoup de théologiens qui pensèrent que la confession n’était pas nécessaire, puisque le baptême tenait lieu de tout.
On prit jour avec l’évêque de Saint-Malo, qui, flatté, comme on peut le croire, de baptiser un Huron, arriva dans un pompeux équipage, suivi de son clergé. Mlle de Saint-Yves, en bénissant Dieu, mit sa plus belle robe et fit venir une coiffeuse de Saint-Malo pour briller à la cérémonie. L’interrogant bailli accourut avec toute la contrée. L’église était magnifiquement parée ; mais quand il fallut prendre le Huron pour le mener aux fonts baptismaux, on ne le trouva point.
L’oncle et la tante le cherchèrent partout. On crut qu’il était à la chasse, selon sa coutume. Tous les conviés à la fête parcoururent les bois et les villages voisins : point de nouvelles du Huron.
On commençait à craindre qu’il ne fût retourné en Angleterre. On se souvenait de lui avoir entendu dire qu’il aimait fort ce pays-là. Monsieur le prieur et sa sœur étaient persuadés qu’on n’y baptisait personne, et tremblaient pour l’âme de leur neveu. L’évêque était confondu et prêt à s’en retourner ; le prieur et l’abbé de Saint-Yves se désespéraient ; le bailli interrogeait tous les passants avec sa gravité ordinaire ; Mlle de Kerkabon pleurait ; Mlle de Saint-Yves ne pleurait pas, mais elle poussait de profonds soupirs qui semblaient témoigner son goût pour les sacrements. Elles se promenaient tristement le long des saules et des roseaux qui bordent la petite rivière de Rance, lorsqu’elles aperçurent au milieu de la rivière une grande figure assez blanche, les deux mains croisées sur la poitrine. Elles jetèrent un grand cri et se détournèrent. Mais, la curiosité l’emportant bientôt sur toute autre considération, elles se coulèrent doucement entre les roseaux ; et quand elles furent bien sûres de n’être point vues, elles voulurent voir de quoi il s’agissait.
Le prieur et l’abbé, étant accourus, demandèrent à l’Ingénu ce qu’il faisait là. « Eh parbleu ! messieurs, j’attends le baptême : il y a une heure que je suis dans l’eau jusqu’au cou, et il n’est pas honnête de me laisser morfondre.
— Mon cher neveu, lui dit tendrement le prieur, ce n’est pas ainsi qu’on baptise en Basse-Bretagne ; reprenez vos habits et venez avec nous. « Mlle de Saint-Yves, en entendant ce discours, disait tout bas à sa compagne : » Mademoiselle, croyez-vous qu’il reprenne sitôt ses habits ? »
Le Huron cependant répartit au prieur : « Vous ne m’en ferez pas accroire cette fois-ci comme l’autre ; j’ai bien étudié depuis ce temps-là, et je suis très-certain qu’on ne se baptise pas autrement. L’eunuque de la reine Candace fut baptisé dans un ruisseau ; je vous défie de me montrer dans le livre que vous m’avez donné qu’on n’y soit jamais pris d’une autre façon. Je ne serai point baptisé du tout, ou je le serai dans la rivière. » On eut beau lui remontrer que les usages avaient changé, l’Ingénu était têtu, car il était Breton et Huron. Il revenait toujours à l’eunuque de la reine Candace ; et quoique mademoiselle sa tante et Mlle de Saint-Yves, qui l’avaient observé entre les saules, fussent en droit de lui dire qu’il ne lui appartenait pas de citer un pareil homme, elles n’en firent pourtant rien, tant était grande leur discrétion. L’évêque vint lui-même lui parler, ce qui est beaucoup ; mais il ne gagna rien : le Huron disputa contre l’évêque.
« Montrez-moi, lui dit-il, dans le livre que m’a donné mon oncle, un seul homme qui n’ait pas été baptisé dans la rivière, et je ferai tout ce que vous voudrez. »
La tante, désespérée, avait remarqué que la première fois que son neveu avait fait la révérence il en avait fait une plus profonde à Mlle de Saint-Yves qu’à aucune autre personne de la compagnie, qu’il n’avait pas même salué monsieur l’évêque avec ce respect mêlé de cordialité qu’il avait témoigné à cette belle demoiselle. Elle prit le parti de s’adresser à elle dans ce grand embarras ; elle la pria d’interposer son crédit pour engager le Huron à se faire baptiser de la même manière que les Bretons, ne croyant pas que son neveu pût jamais être chrétien s’il persistait à vouloir être baptisé dans l’eau courante.
Mlle de Saint-Yves rougit du plaisir secret qu’elle sentait d’être chargée d’une si importante commission. Elle s’approcha modestement de l’Ingénu, et, lui serrant la main d’une manière tout à fait noble : « Est-ce que vous ne ferez rien pour moi ? » lui dit-elle ; et en prononçant ces mots elle baissait les yeux, et les relevait avec une grâce attendrissante. « Ah ! tout ce que vous voudrez, mademoiselle, tout ce que vous me commanderez : baptême d’eau, baptême de feu[2], baptême de sang, il n’y a rien que je vous refuse. » Mlle de Saint-Yves eut la gloire de faire en deux paroles ce que ni les empressements du prieur, ni les interrogations réitérées du bailli, ni les raisonnements même de monsieur l’évêque, n’avaient pu faire. Elle sentit son triomphe ; mais elle n’en sentait pas encore toute l’étendue.
Le baptême fut administré et reçu avec toute la décence, toute la magnificence, tout l’agrément possibles. L’oncle et la tante cédèrent à M. l’abbé de Saint-Yves et à sa sœur l’honneur de tenir l’Ingénu sur les fonts. Mlle de Saint-Yves rayonnait de joie de se voir marraine. Elle ne savait pas à quoi ce grand titre l’asservissait ; elle accepta cet honneur sans en connaître les fatales conséquences.
Comme il n’y a jamais eu de cérémonie qui ne fût suivie d’un grand dîner, on se mit à table au sortir du baptême. Les goguenards de Basse-Bretagne dirent qu’il ne fallait pas baptiser son vin. Monsieur le prieur disait que le vin, selon Salomon, réjouit le cœur de l’homme. Monsieur l’évêque ajoutait que le patriarche Juda devait lier son ânon à la vigne, et tremper son manteau dans le sang du raisin, et qu’il était bien triste qu’on n’en pût faire autant en Basse-Bretagne, à laquelle Dieu a dénié les vignes. Chacun tâchait de dire un bon mot sur le baptême de l’Ingénu, et des galanteries à la marraine. Le bailli, toujours interrogant, demandait au Huron s’il serait fidèle à ses promesses. « Comment voulez-vous que je manque à mes promesses, répondit le Huron, puisque je les ai faites entre les mains de Mlle de Saint-Yves ? »
Le Huron s’échauffa ; il but beaucoup à la santé de sa marraine. « Si j’avais été baptisé de votre main, dit-il, je sens que l’eau froide qu’on m’a versée sur le chignon m’aurait brûlé. » Le bailli trouva cela trop poétique, ne sachant pas combien l’allégorie est familière au Canada. Mais la marraine en fut extrêmement contente.
On avait donné le nom d’Hercule au baptisé. L’évêque de Saint-Malo demandait toujours quel était ce patron dont il n’avait jamais entendu parler. Le jésuite, qui était fort savant, lui dit que c’était un saint qui avait fait douze miracles. Il y en avait un treizième qui valait les douze autres, mais dont il ne convenait pas à un jésuite de parler : c’était celui d’avoir changé cinquante filles en femmes en une seule nuit. Un plaisant qui se trouva là releva ce miracle avec énergie. Toutes les dames baissèrent les yeux, et jugèrent à la physionomie de l’Ingénu qu’il était digne du saint dont il portait le nom.
Il faut avouer que depuis ce baptême et ce dîner Mlle de Saint-Yves souhaita passionnément que monsieur l’évêque la fît encore participante de quelque beau sacrement avec M. Hercule l’Ingénu. Cependant, comme elle était bien élevée et fort modeste, elle n’osait convenir tout à fait avec elle-même de ses tendres sentiments ; mais, s’il lui échappait un regard, un mot, un geste, une pensée, elle enveloppait tout cela d’un voile de pudeur infiniment aimable. Elle était tendre, vive et sage.
Dès que monsieur l’évêque fut parti, l’Ingénu et Mlle de Saint-Yves se rencontrèrent sans avoir fait réflexion qu’ils se cherchaient. Ils se parlèrent sans avoir imaginé ce qu’ils se diraient. L’Ingénu lui dit d’abord qu’il l’aimait de tout son cœur, et que la belle Abacaba, dont il avait été fou dans son pays, n’approchait pas d’elle. Mademoiselle lui répondit, avec sa modestie ordinaire, qu’il fallait en parler au plus vite à monsieur le prieur son oncle et à mademoiselle sa tante, et que de son côté elle en dirait deux mots à son cher frère l’abbé de Saint-Yves, et qu’elle se flattait d’un consentement commun.
L’Ingénu lui répond qu’il n’avait besoin du consentement de personne, qu’il lui paraissait extrêmement ridicule d’aller demander à d’autres ce qu’on devait faire ; que, quand deux parties sont d’accord, on n’a pas besoin d’un tiers pour les accommoder. « Je ne consulte personne, dit-il, quand j’ai envie de déjeuner, ou de chasser, ou de dormir : je sais bien qu’en amour il n’est pas mal d’avoir le consentement de la personne à qui on en veut ; mais, comme ce n’est ni de mon oncle ni de ma tante que je suis amoureux, ce n’est pas à eux que je dois m’adresser dans cette affaire, et, si vous m’en croyez, vous vous passerez aussi de M. l’abbé de Saint-Yves. »
On peut juger que la belle Bretonne employa toute la délicatesse de son esprit à réduire son Huron aux termes de la bienséance. Elle se fâcha même, et bientôt se radoucit. Enfin on ne sait comment aurait fini cette conversation si, le jour baissant, monsieur l’abbé n’avait ramené sa sœur à son abbaye. L’Ingénu laissa coucher son oncle et sa tante, qui étaient un peu fatigués de la cérémonie et de leur long dîner. Il passa une partie de la nuit à faire des vers en langue huronne pour sa bien-aimée : car il faut savoir qu’il n’y a aucun pays de la terre où l’amour n’ait rendu les amants poètes.
Le lendemain, son oncle lui parla ainsi après le déjeuner, en présence de Mlle de Kerkabon, qui était tout attendrie : « Le ciel soit loué de ce que vous avez l’honneur, mon cher neveu, d’être chrétien et Bas-Breton ! Mais cela ne suffit pas ; je suis un peu sur l’âge ; mon frère n’a laissé qu’un petit coin de terre qui est très-peu de chose ; j’ai un bon prieuré ; si vous voulez seulement vous faire sous-diacre, comme je l’espère, je vous résignerai mon prieuré, et vous vivrez fort à votre aise, après avoir été la consolation de ma vieillesse. »
L’Ingénu répondit : « Mon oncle, grand bien vous fasse ! vivez tant que vous pourrez. Je ne sais pas ce que c’est que d’être sous-diacre ni que de résigner ; mais tout me sera bon pourvu que j’aie Mlle de Saint-Yves à ma disposition. — Eh ! mon Dieu ! mon neveu, que me dites-vous là ? Vous aimez donc cette belle demoiselle à la folie ? — Oui, mon oncle. — Hélas ! mon neveu, il est impossible que vous l’épousiez. — Cela est très-possible, mon oncle ; car non-seulement elle m’a serré la main en me quittant, mais elle m’a promis qu’elle me demanderait en mariage ; et assurément je l’épouserai. — Cela est impossible, vous dis-je ; elle est votre marraine : c’est un péché épouvantable à une marraine de serrer la main de son filleul ; il n’est pas permis d’épouser sa marraine ; les lois divines et humaines s’y opposent. — Morbleu ! mon oncle, vous vous moquez de moi ; pourquoi serait-il défendu d’épouser sa marraine, quand elle est jeune et jolie ? Je n’ai point vu dans le livre que vous m’avez donné qu’il fût mal d’épouser les filles qui ont aidé les gens à être baptisés. Je m’aperçois tous les jours qu’on fait ici une infinité de choses qui ne sont point dans votre livre, et qu’on n’y fait rien de tout ce qu’il dit : je vous avoue que cela m’étonne et me fâche. Si on me prive de la belle Saint-Yves, sous prétexte de mon baptême, je vous avertis que je l’enlève, et que je me débaptise. »
Le prieur fut confondu ; sa sœur pleura. « Mon cher frère, dit-elle, il ne faut pas que notre neveu se damne ; notre saint-père le pape peut lui donner dispense, et alors il pourra être chrétiennement heureux avec ce qu’il aime. » L’Ingénu embrassa sa tante. « Quel est donc, dit-il, cet homme charmant qui favorise avec tant de bonté les garçons et les filles dans leurs amours ? Je veux lui aller parler tout à l’heure. »
On lui expliqua ce que c’était que le pape ; et l’Ingénu fut encore plus étonné qu’auparavant. « Il n’y a pas un mot de tout cela dans votre livre, mon cher oncle ; j’ai voyagé, je connais la mer ; nous sommes ici sur la côte de l’Océan ; et je quitterais Mlle de Saint-Yves pour aller demander la permission de l’aimer à un homme qui demeure vers la Méditerranée, à quatre cents lieues d’ici, et dont je n’entends point la langue ! Cela est d’un ridicule incompréhensible. Je vais sur-le-champ chez M. l’abbé de Saint-Yves, qui ne demeure qu’à une lieue de vous, et je vous réponds que j’épouserai ma maîtresse dans la journée. »
Comme il parlait encore, entra le bailli, qui, selon sa coutume, lui demanda où il allait. « Je vais me marier », dit l’Ingénu en courant ; et au bout d’un quart d’heure il était déjà chez sa belle et chère basse-brette, qui dormait encore. « Ah ! mon frère ! disait Mlle de Kerkabon au prieur, jamais vous ne ferez un sous-diacre de notre neveu. »
Le bailli fut très-mécontent de ce voyage : car il prétendait que son fils épousât la Saint-Yves : et ce fils était encore plus sot et plus insupportable que son père.
M. Gordon était un vieillard frais et serein, qui savait deux grandes choses : supporter l’adversité, et consoler les malheureux. Il s’avança d’un air ouvert et compatissant vers son compagnon, et lui dit en l’embrassant : « Qui que vous soyez, qui venez partager mon tombeau, soyez sûr que je m’oublierai toujours moi-même pour adoucir vos tourments dans l’abîme infernal où nous sommes plongés. Adorons la Providence qui nous y a conduits, souffrons en paix, et espérons. » Ces paroles firent sur l’âme de l’Ingénu l’effet des gouttes d’Angleterre, qui rappellent un mourant à la vie, et lui font entr’ouvrir des yeux étonnés.
Après les premiers compliments, Gordon, sans le presser de lui apprendre la cause de son malheur, lui inspira, par la douceur de son entretien, et par cet intérêt que prennent deux malheureux l’un à l’autre, le désir d’ouvrir son cœur et de déposer le fardeau qui l’accablait ; mais il ne pouvait deviner le sujet de son malheur ; cela lui paraissait un effet sans cause ; et le bonhomme Gordon était aussi étonné que lui-même.
« Il faut, dit le janséniste au Huron, que Dieu ait de grands desseins sur vous, puisqu’il vous a conduit du lac Ontario en Angleterre et en France, qu’il vous a fait baptiser en Basse-Bretagne, et qu’il vous a mis ici pour votre salut. — Ma foi, répondit l’Ingénu, je crois que le diable s’est mêlé seul de ma destinée. Mes compatriotes d’Amérique ne m’auraient jamais traité avec la barbarie que j’éprouve : ils n’en ont pas d’idée. On les appelle sauvages ; ce sont des gens de bien grossiers, et les hommes de ce pays-ci sont des coquins raffinés. Je suis, à la vérité, bien surpris d’être venu d’un autre monde pour être enfermé dans celui-ci sous quatre verrous avec un prêtre ; mais je fais réflexion au nombre prodigieux d’hommes qui partent d’un hémisphère pour aller se faire tuer dans l’autre, ou qui font naufrage en chemin, et qui sont mangés des poissons : je ne vois pas les gracieux desseins de Dieu sur tous ces gens-là. »
On leur apporta à dîner par un guichet. La conversation roula sur la Providence, sur les lettres de cachet, et sur l’art de ne pas succomber aux disgrâces auxquelles tout homme est exposé dans ce monde. « Il y a deux ans que je suis ici, dit le vieillard, sans autre consolation que moi-même et des livres ; je n’ai pas eu un moment de mauvaise humeur.
— Ah ! monsieur Gordon, s’écria l’Ingénu, vous n’aimez donc pas votre marraine ? Si vous connaissiez comme moi Mlle de Saint-Yves, vous seriez au désespoir. » À ces mots il ne put retenir ses larmes, et il se sentit alors un peu moins oppressé. « Mais, dit-il, pourquoi donc les larmes soulagent-elles ? Il me semble qu’elles devraient faire un effet contraire.
— Mon fils, tout est physique en nous, dit le bon vieillard ; toute sécrétion fait du bien au corps ; et tout ce qui le soulage soulage l’âme : nous sommes les machines de la Providence. »
L’Ingénu, qui, comme nous l’avons dit plusieurs fois, avait un grand fonds d’esprit, fit de profondes réflexions sur cette idée, dont il semblait qu’il avait la semence en lui-même. Après quoi il demanda à son compagnon pourquoi sa machine était depuis deux ans sous quatre verrous. « Par la grâce efficace, répondit Gordon ; je passe pour janséniste : j’ai connu Arnauld et Nicole ; les jésuites nous ont persécutés. Nous croyons que le pape n’est qu’un évêque comme un autre ; et c’est pour cela que le P. de la Chaise a obtenu du roi, son pénitent, un ordre de me ravir, sans aucune formalité de justice, le bien le plus précieux des hommes, la liberté.
— Voilà qui est bien étrange, dit l’Ingénu ; tous les malheureux que j’ai rencontrés ne le sont qu’à cause du pape. À l’égard de votre grâce efficace, je vous avoue que je n’y entends rien ; mais je regarde comme une grande grâce que Dieu m’ait fait trouver dans mon malheur un homme comme vous, qui verse dans mon cœur des consolations dont je me croyais incapable. »
Chaque jour la conversation devenait plus intéressante et plus instructive. Les âmes des deux captifs s’attachaient l’une à l’autre. Le vieillard savait beaucoup, et le jeune homme voulait beaucoup apprendre. Au bout d’un mois il étudia la géométrie ; il la dévorait. Gordon lui fit lire la physique de Rohault, qui était encore à la mode, et il eut le bon esprit de n’y trouver que des incertitudes.
Ensuite il lut le premier volume de la Recherche de la vérité. Cette nouvelle lumière l’éclaira. « Quoi ! dit-il, notre imagination et nos sens nous trompent à ce point ! quoi ! les objets ne forment point nos idées, et nous ne pouvons nous les donner nous-mêmes ! » Quand il eut lu le second volume, il ne fut plus si content, et il conclut qu’il est plus aisé de détruire que de bâtir.
Son confrère, étonné qu’un jeune ignorant fît cette réflexion, qui n’appartient qu’aux âmes exercées, conçut une grande idée de son esprit, et s’attacha à lui davantage.
« Votre Malebranche, lui dit un jour l’Ingénu, me paraît avoir écrit la moitié de son livre avec sa raison, et l’autre avec son imagination et ses préjugés. »
Quelques jours après, Gordon lui demanda : « Que pensez-vous donc de l’âme, de la manière dont nous recevons nos idées, de notre volonté, de la grâce, du libre arbitre ?
— Rien, lui repartit l’Ingénu ; si je pensais quelque chose, c’est que nous sommes sous la puissance de l’Être éternel comme les astres et les éléments ; qu’il fait tout en nous, que nous sommes de petites roues de la machine immense dont il est l’âme ; qu’il agit par des lois générales, et non par des vues particulières : cela seul me paraît intelligible ; tout le reste est pour moi un abîme de ténèbres.
— Mais, mon fils, ce serait faire Dieu auteur du péché.
— Mais, mon père, votre grâce efficace ferait Dieu auteur du péché aussi : car il est certain que tous ceux à qui cette grâce serait refusée pécheraient ; et qui nous livre au mal n’est-il pas l’auteur du mal ? »
Cette naïveté embarrassait fort le bonhomme ; il sentait qu’il faisait de vains efforts pour se tirer de ce bourbier ; et il entassait tant de paroles qui paraissaient avoir du sens et qui n’en avaient point (dans le goût de la prémotion physique), que l’Ingénu en avait pitié. Cette question tenait évidemment à l’origine du bien et du mal ; et alors il fallait que le pauvre Gordon passât en revue la boîte de Pandore, l’œuf d’Orosmade percé par Arimane, l’inimitié entre Typhon et Osiris, et enfin le péché originel ; et ils couraient l’un et l’autre dans cette nuit profonde, sans jamais se rencontrer. Mais enfin ce roman de l’âme détournait leur vue de la contemplation de leur propre misère, et, par un charme étrange, la foule des calamités répandues sur l’univers diminuait la sensation de leurs peines : ils n’osaient se plaindre quand tout souffrait.
Mais, dans le repos de la nuit, l’image de la belle Saint-Yves effaçait dans l’esprit de son amant toutes les idées de métaphysique et de morale. Il se réveillait les yeux mouillés de larmes ; et le vieux janséniste oubliait sa grâce efficace, et l’abbé de Saint-Cyran, et Jansénius, pour consoler un jeune homme qu’il croyait en péché mortel.
Après leurs lectures, après leurs raisonnements, ils parlaient encore de leurs aventures ; et, après en avoir inutilement parlé, ils lisaient ensemble ou séparément. L’esprit du jeune homme se fortifiait de plus en plus. Il serait surtout allé très-loin en mathématiques sans les distractions que lui donnait Mlle de Saint-Yves.
Il lut des histoires, elles l’attristèrent. Le monde lui parut trop méchant et trop misérable. En effet, l’histoire n’est que le tableau des crimes et des malheurs. La foule des hommes innocents et paisibles disparaît toujours sur ces vastes théâtres. Les personnages ne sont que des ambitieux pervers. Il semble que l’histoire ne plaise que comme la tragédie, qui languit si elle n’est animée par les passions, les forfaits, et les grandes infortunes. Il faut armer Clio du poignard comme Melpomène.
Quoique l’histoire de France soit remplie d’horreurs, ainsi que toutes les autres, cependant elle lui parut si dégoûtante dans ses commencements, si sèche dans son milieu, si petite enfin, même du temps de Henri IV, toujours si dépourvue de grands monuments, si étrangère à ces belles découvertes qui ont illustré d’autres nations, qu’il était obligé de lutter contre l’ennui pour lire tous ces détails de calamités obscures resserrées dans un coin du monde.
Gordon pensait comme lui. Tous deux riaient de pitié quand il était question des souverains de Fezensac, de Fesansaguet, et d’Astarac. Cette étude en effet ne serait bonne que pour leurs héritiers, s’ils en avaient. Les beaux siècles de la république romaine le rendirent quelque temps indifférent pour le reste de la terre. Le spectacle de Rome victorieuse et législatrice des nations occupait son âme entière. Il s’échauffait en contemplant ce peuple qui fut gouverné sept cents ans par l’enthousiasme de la liberté et de la gloire.
Ainsi se passaient les jours, les semaines, les mois ; et il se serait cru heureux dans le séjour du désespoir, s’il n’avait point aimé.
Son bon naturel s’attendrissait encore sur le prieur de Notre-Dame de la Montagne, et sur la sensible Kerkabon. « Que penseront-ils, répétait-il souvent, quand ils n’auront point de mes nouvelles ? Ils me croiront un ingrat. » Cette idée le tourmentait ; il plaignait ceux qui l’aimaient, beaucoup plus qu’il ne se plaignait lui-même.
Analyse de L’ingénu de Voltaire
1. Qui ou quoi critique Voltaire dans sa nouvelle ?
- Quels personnages sont ridiculisés ?
- Quels aspects de la société sont montrés comme absurdes ?
- Quels rites ou traditions ou coutumes sont critiquées à travers l’ingénu ?
Dans le chapitre 3 :
- Que croit l’ingénu sur la religion après avoir lu la Bible ?
- Quel personnage est ridiculisé à la fin du paragraphe 4 ?
Dans le chapitre 4 :
- Quels rituels religieux sont ridiculisés par Voltaire ?
- Qu’est-ce qui «asservit» Mlle de Saint-Yves ?
Dans le chapitre 5 :
- Que critique Voltaire d’une part par rapport aux conventions des relations amoureuses et d’autre part par rapport à la religion ?
Dans le chapitre 10 :
- Pourquoi l’ingénu est-il malheureux en prison ?
- Quelle figure d’autorité y est critique ?
2. Quels sont les thèmes ou les enjeux (sociaux, moraux, politiques, etc.) soulignés par Voltaire dans son texte ?
Quels messages Voltaire transmet-il sur la société française et ses mœurs, sa religion, sa politique, etc.?
Quel message Voltaire transmet-il par rapport à la l’utilisation de la raison à travers l’ingénu au chapitre 10 ?
3. Quelles différences y a-t-il entre le français utilisé de nos jours et celui de Voltaire au XVIIIe siècle ?
- temps de verbe
- types de phrases
- mots de vocabulaire
- etc.
Quelle vieille expression est employée au 3e paragraphe du chapitre 3 ?
Quels mots ne sont plus vraiment employés de nos jours ?
4. Quels autres indices (culturels, historiques, etc.) permettent de deviner que le texte a été écrit à l’époque des Lumières ? Explique en quoi ils sont reliés au contexte historique et intellectuel du 18e siècle.
- Au chapitre 10, sur quoi lui et Gordon sont-ils d’accord ?
- Quelles références historiques sont faites au chapitre 10 et que révèlent-elles par rapport à l’époque de publication ?
- Le fait que l’ingénu soit un autochtone du Canada révèle quoi au sujet de l’époque à laquelle le texte fut écrit ?
- Quelles références implicites à l’opposition entre l’homme naturel et l’homme de culture sont faites aux chapitres 3 et 10 ?
5. Quels liens peux-tu faire entre le monde contemporain et les enjeux soulevés dans le texte ?
Les réponses varieront
Va plus loin !
Si tu aimes le style satirique de Voltaire, tu aimeras aussi son récit très connu, « Candide et l’optimisme », ainsi que son conte qui s’intitule « Jeannot et Colin ». Les deux sont disponibles en ligne !
Réponse spontanée
Une réponse spontanée se produit de toi-même. C’est une réponse libre et sans contraintes. Tu réponds à la question demandée sans arrière-pensée pour la durée indiquée.
Comment les philosophies de Rousseau (1712-1778) et de Voltaire (1694-1778) et des Lumières en général sont-elles des conséquences ou des réactions « normales » au XVIIIe siècle ?
Tout au long de ce cours, il te sera demandé de répondre à des questions de réflexion en forme d'une réponse spontanée.
Évaluation de l’apprentissage
Parfois, on te demandera de répondre oralement et spontanément à des questions. Pour ces réponses orales, tu peux t’enregistrer sous la forme d’un journal ou d’un enregistrement sonore ! Tu peux utiliser ton téléphone cellulaire ou un autre appareil électronique de ton choix. Il existe de nombreux sites d’enregistrement sonore sur l’internet comme « Online Voice Recorder (S’ouvrira dans une nouvelle fenêtre)». Il existe de nombreuses applications gratuites pour l’enregistrement de ta voix. C’est à toi de choisir la méthode que tu utilises pour enregistrer tes réflexions.
Notebook
Parfois, on te demandera de répondre à des questions en faisant des réflexions écrites dans ton cahier et en tenant un cahier de notes.
Réponse spontaneé
Soyez créatif/créative ! Ces réponses sont spontanées même qu’elles sont orales ou écrites. Ces réponses seront utilisées pour une évaluation de l’apprentissage à la fin du cours. Garde tes enregistrements organisés. Tu en auras besoin plus tard dans ce cours et ils seront évaluées.
Pour la première réponse spontanée, soumets ta réponse sous la forme d’une entrée de journal ! Lorsque tu auras soumis toutes tes réponses écrites, ton enseignant.e te donnera une note et de la rétroaction. Cette réponse est sommative et compte pour 1 % de ta note finale.
- Ta réponse doit être en lien avec la ou les question(s) posée(s) et cette activité d’apprentissage.
- Tu dois communiquer en français uniquement et rédiger des phrases cohérentes et claires.
- Ton entrée de journal doit contenir entre 50 et 100 mots.
Autoévaluation et réflexion
Ceci est une autoévaluation, qui t’aidera à :
- évaluer ton travail
- déterminer comment tu progresses dans ton apprentissage, ce qu’il te reste à accomplir et la manière d’y parvenir
- démontrer et préparer ton apprentissage pour l’examen final
En tant qu’évaluateur ou évaluatrice, tu fourniras une rétroaction en utilisant la grille d’évaluation suivante.
Une fois l’étape de la grille d’évaluation terminée, pose-toi les questions de réflexion suivantes :
- Je dois améliorer ma compréhension de certains concepts : Quels sont-ils ?
- Quels sont mes points forts ?
- Quelles sont les mesures à prendre pour garantir une bonne compréhension de tous les concepts ?
- Quelles mesures devrais-je prendre pour m’améliorer et m’épanouir en tant qu’étudiant ou étudiante ?
1. Quelles sont les plus grandes difficultés que tu as rencontrées pendant tes lectures de Rousseau et de Voltaire ?
2. Quelles stratégies as-tu utilisées pour les surmonter ?
3. Pourquoi étudier la philosophie des Lumières aujourd’hui ? Comment te sera-t-elle utile plus tard d’après toi ?
4. Penses-tu continuer à explorer d’autres textes philosophiques plus tard ?